Arts et création artistique : la représentation de la femme dans la peinture

20 juillet 2003 - 10h34 - Culture - Ecrit par :

Voici l’été, et les corps seront mis en évidence. Jadis sous-jacent dans les mœurs, ils étaient célébrés dans le chant et la poésie, aujourd’hui ils sont vus, mais leurs saisies artistiques sont des tentatives confuses. Analyse de cet objet des désirs obscurs.

Dans « Lala Ghita », poème chanté du malhoun, par la voix un peu éraillée de Haj El Houcine Toulali, nous avons la description parfaite d’un corps d’adolescente très belle.

Le pauvre amoureux nous demande d’intercéder en sa faveur auprès de cette insouciante. Une demande d’intercession que le refrain reprend jusqu’au crescendo du final : “Dites à Ghita mon aimée ! ». D’ailleurs dans ce chant, il ne fait que justifier, à la fois son incapacité à soutenir le regard de Ghita, et en la surveillant donc de loin, il nous la décrit : une logique de composition magistrale, même si dans le feu de son délire attisé par le désir insoutenable, il lui arrive de s’adresser à elle directement, et alors nous devenons témoins de son mal d’amour. “Persuadez-la de libérer son esclave” ; cette femme est tyranique par sa seule présence. Comment est-elle donc cette séductrice, sans cœur ? Ah ! mes amis ; « Les roses chaque jour disent à ses joues : nous sommes sœurs ». Et encore ? « Sa poitrine est un verger bien gardé, plein de pommes qui soulèvent sa chemise, et que j’aimerais croquer ».

Et c’est là que commence le travail de l’historien de l’art. D’abord annonçons un théorème : aucune forme esthétique n’est tirée du néant, et comme disait le grand Goethe, le génie commence toujours par celui d’un autre, pour terminer par le sien propre. Et dans le cas du malhoun, c’est par l’art du conteur, pour terminer par un conte chanté. Sur la même cassette de Ghita, il y a un autre chant, celui du « Bracelet de Zhira », qui raconte aussi une autre histoire d’amour. Et toute la force du malhoun réside là, cette filiation du conte au chant, qui lui offre une assise solide.

Dans les grandes réalisations artistiques universelles, il y a eu de tout temps ces formes de vampirisation, et qui, sans annuler les précédentes créations, nourrissent les suivantes, où du moins fonctionnent comme des boutures pour se développer autrement. Mais les historiens comme des archéologues découvrent les fonds du départ ; et ainsi le premier d’entre eux, Hérodote a vite compris que l’art primitif grec est issu de l’art égyptien.
Pour la peinture marocaine, il y a de vraies filiations assumées et donc fécondes, et d’autres ou bricolées sans efforts, ou cachées et refoulées et qui finissent par anéantir la créativité.

Et si nous passons en revue les artistes marocains qui ont figuré le corps, c’est pour mettre en évidence les appuis de leur démarche.
Cherkaoui disait qu’il a souvent peint le visage de sa mère. Lui l’orphelin précoce, il a cherché les moyens les plus sublimes pour restituer la trace de l’être vénéré. L’abstraction qu’il a reçue comme mode d’expression, son intérêt pour des motifs traditionnels marocains, et la recherche continuelle des formes empruntée à Paul Klee ; Cherkaoui a su de ces différents héritages engendrer la peinture la plus marquante du monde arabe.

Belkahia, esthète, a trouvé par l’usage de la peau la résolution définitive à son besoin de célébrer le corps, par une expression nouvelle dans le champs artistique marocain. Paul Klee, André Masson et les traditions marocaines du tatouage, tous repris sur un support inventé.

Cet artiste restera comme celui qui a le premier tenté de configurer le corps désiré, non dans sa forme habituelle, mais reformulé et recomposé, car il est évident, pour nous, que le temps n’est pas à l’exhibition vulgaire.
Mohamed Drissi peingnait ce qu’il ressentait, aidé par sa grande maîtrise technique.
Un expressionniste qui tient de Groz et de Munch. Il est de cette deuxième génération des peintres, qui n’avaient plus à décliner leur citoyenneté dans leurs tableaux.

Mais si les corps se bousculent dans les scènes que cet artiste nous présente, leurs identités sont laissées floues, comme les peintres de baroques et romantiques européens allaient inviter leurs beautés dans des mythologies lointaines.
Kacimi opère de la même manière, dans un luxe de couleurs impressionnant, mais ses corps sont en flottaison.

Aziz Saïd est le plus explicité dans cette manière de faire coïncider la figuration du corps hérité de l’art européen, et la quête d’une identité. Un corps pris dans un mouvement (danse ?), en déséquilibre, et comme des talismans, des fragments de zellige couvrent des parties de ce corps méconnu.

Mais en repensant à notre poème du début, à cette supplique à Ghita, nous devinons l’âge de chacune de ses expressions de notre patrimoine : le conte et le chant ont des milliers d’années, la peinture en a, quant à elle, seulement cinquante ans et des poussières.

Amale Nazih - Lematin.ma

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