Le tournage de la suite du film « Lord of War » sorti dans les salles de cinéma en 2005, devrait bientôt démarrer au Maroc, avec le retour d’Andrew Niccol à la réalisation et au scénario.
“C’est qui ce loubard ?”, est-on tenté de penser en voyant débouler le jeune homme. Bouc taillé à la serpe, anneau à l’oreille gauche et grosse chaîne en argent sous un col ouvert : il n’y a que sa voix cassée que l’acteur de 31 ans n’aura pas grimée pour devenir Mehdi, héros d’un épisode de la nouvelle série Les Figurants, prochainement diffusée sur Al Aoula.
Problème : le tournage a été reporté à la dernière minute, et Aissam doit reprendre l’avion pour la Suisse, où il vit. Il n’est pas à un aller-retour près. Janvier dernier, il jouait du flingue à Agadir, sur le plateau de The Red line, dernier film du Belgo-marocain Brahim Chkiri (coproduit par la SNRT et Faouzi Vision). L’histoire d’un flic qui, dans sa quête de vengeance, glisse inexorablement vers la folie. Un polar bien noir, revisitant le cultissime Infernal affairs, du Coréen Andrew Lau, et où Aissam Bouali se paie le luxe d’affronter Mohamed Qissi, Tong Po pour les intimes des arts martiaux. C’est aussi à Agadir (ville où le môme des Hauts-de-Seine est envoyé par son père en internat, de sept à treize ans, pour apprendre l’arabe et la vie au bled) que Aissam avait enchaîné trois tournages pour la Film Industry : Aller-Retour en enfer, de Yassine Fennane, El Guerrab et La Vague blanche, de Ali El Mejboud.
Brando, l’idole
Qu’importe la médiatisation limitée de ces films : sous les traits de personnages fêlés ou écorchés vifs, Aissam Bouali crève l’écran. Primo, il a une “gueule”, une vraie. Secundo, un jeu moderne, "explosif", comme le décrit son partenaire Mourad Zaoui : “Il m’a donné la chair de poule et même tiré quelques larmes. Il ne réfléchit pas trop, pour mieux se lâcher. Mais c’est beaucoup de travail en amont”. “J’aime dessiner mon personnage, lui trouver ses accessoires, écouter sa zik… Après chaque scène de La Vague blanche, j’allais faire la fête, et pas mal de bêtises”, glisse-t-il, sourire en coin. “On m’a parfois reproché de surjouer. Mais Nasser, le personnage, surjoue déjà dans la vraie vie. Et puis regarde Al Pacino dans Scarface : il n’est pas Cubain, il en fait trop. Même le surjeu peut être pertinent”.
Le jeunot se comparerait-il au monstre sacré ? Loin de là… Aissam lui préfère Brando et assure surtout “ne pas se prendre au sérieux”. “J’ai pas la discipline d’acteur, le côté se vendre, faire son book, appeler des gens…”. Les premiers rôles lui sont justement confiés par des potes : comme dans le court-métrage Psycho, de Ali El Mejboud, tourné en parallèle d’un stage de fin d’études à Bruxelles, “dans l’une des plus grosses boîtes d’industrie chimique au monde”. C’est que notre homme est en école d’ingénieurs, à l’Université de Technologie de Compiègne, section Génie des systèmes mécaniques 2003. Ce qui ne l’empêche pas d’enchaîner devant la caméra pour Yassine Fennane, autre ami de jeunesse, dans le court-métrage Chemise blanche, cravate noire, l’histoire d’un gars qui étrangle sa nouvelle nana.
Guère apeurée, une copine comédienne l’appelle pour lui donner la réplique sur un casting. “J’ai été pris, pas elle”, résume Aissam qui joue Saïd, un Belge d’origine marocaine, passionné de littérature et victime de racisme. Malgré le côté un peu cliché du rôle, il ne crache pas dessus. “Il m’ont rappelé le jour où je devais signer un contrat chez Géoservices”, se rappelle-t-il. Entre un salaire tutoyant les 3000 euros et la vie de bohème sur les planches, un choix s’impose. Aissam laisse tomber le pétrole, pour jouer, pendant près d’un an, dans La Chanson de septembre, pièce de Serge Kribus mise en scène par Anne Coutureau, au Théâtre 13 à Paris.
“Pas faire la p***”
Une agence le repère et le met sur le coup des Talents de Cannes 2004, sorte de tremplin dont les happy few (Audrey Tautou et Assâad Bouab seraient passés par là) se répartissent au générique de dix courts-métrages. Aissam se fait diriger dans Personnes en danger (dans le rôle d’un flic qui, frustré avec sa femme, déverse sa tension sur une plaignante), de Pierre-Loup Rajot. “Sa meuf, c’était Emmanuelle Béart”, indique-t-il pour situer le cinéaste. À Cannes, Aissam monte les marches, “défoncé”, se souvient-il, hilare mais sceptique. “C’est pas ce qui m’a fait tripper. On savait qu’on irait au Festival avant même de tourner les films. On le méritait pas”, estime-t-il, peu enclin à la grosse tête.
À fortiori quand il s’agit de ne se voir proposer, par la suite, que des rôles de “racailles”, qu’il refuse invariablement. “Ça m’a dégoûté du cinéma français, vraiment pas très original. Heureusement, ça commence à changer avec Gaspard Noé, Jacques Audiard…”. Des auteurs qui font dans le trash, le noir, le moralement incorrect. Avec, pour acteur fétiche, Vincent Cassel. “LA rencontre du Festival de Cannes, se souvient Aissam. Je crois qu’il m’a pris pour quelqu’un d’autre, dit-il le plus sérieusement du monde. Il m’a parlé de surf, du Maroc, où il venait de tourner Agents secrets… à aucun moment on n’a causé cinéma”, poursuit-il, admiratif. “Il ment pas, il s’adapte partout, il tient tête aux Ricains”.
Aissam, lui, en est à tâter le terrain. Et commet l’impair d’une pub Knorr. “Pas pour le fric - 6000 euros la demi-journée - mais pour voir ce que c’était”. Verdict : quand on veut faire de l’alimentaire, on risque vite de “faire la p***”. “La seule manière de rester indépendant, c’est d’avoir un métier à côté”. Embauché à plein temps chez Alsthom, Aissam pose des conditions dans le contrat : “En cas de tournage, on me laisse partir”. Le reste du temps, il assiste et pilote les sites de la boîte, parle allemand, français, anglais et espagnol, voyage à Taïwan, vit avec sa fiancée à Baden. “C’est paisible, plus naturel”, décrit-il en roulant ses clopes dans du papier au chocolat.
Petits meurtres entre amis
On est loin du psychopathe récurrent qui pointe sous ses personnages. Mais c’est bien parce qu’il est à l’abri des fins de mois difficiles que Aissam Bouali se fait plaisir avec ses potes. Pas par défaut, mais “parce qu’on est dans le même délire, on aime le même cinéma”. Des films de genre, à la fois très codifiés et très créatifs. Dans Dangerman, court déjanté de Yassine Fennane, Aissam donne vie au premier super-héros marocain. Dans El Aroubi, du même Fennane, il trempe en eaux mafieuses. Il est aussi un père de famille qui pète les plombs et assassine sa famille à la chevrotine dans Papillon, de Ali El Mejboud, chabrolien malgré lui. Dans l’appart-bureau de ce dernier, sous une affiche d’Apocalypse Now, ils peuvent passer des heures à décortiquer plans, dialogues et lumières d’un grand cru 1975, genre Coppola, Leone ou Bertolucci.
Et puis, il y a cette envie commune de désamidonner le 7ème Art marocain, qui pêche parfois par sa lourdeur sociale ou son pseudo intellectualisme. “La nouveauté dérange, on n’encourage pas assez les jeunes”, déplore-t-il, évoquant “ces films qui circulent dans les festivals étrangers (La Vague blanche, Squelette…) et dont on n’entend même pas parler ici”. “Sa stratégie est bonne, estime Mourad Zaoui, privilégier de bons premiers rôles avec de jeunes réalisateurs en pleine ascension”. “Si je peux vivre de ça, je le ferai”, espère l’intéressé. Ou si, un jour, il en a assez d’être ingénieur le lundi, et serial killer le mercredi.
Source : TelQuel - Cerise Maréchaud
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