Afrique : Quand les investissements remplacent la diplomatie

14 avril 2007 - 16h59 - Economie - Ecrit par : L.A

RAM, ONA, Ynna Holding, BMCE Bank… Plusieurs grands groupes marocains s’implantent de plus en plus en Afrique subsaharienne. Retour sur un phénomène qui prend de l’ampleur. Vendredi 16 mars, Othmane Benjelloun est aux anges : il vient de réaliser un coup de maître. L’acquisition de 35% du capital d’une des banques les plus importantes du continent africain l’African Financial Holding. Les modalités de l’opération ne sont pas connues, BMCE Bank n’ayant pas encore eu l’aval des autorités monétaires. Un accord qui ne devrait pas tarder selon des sources proches du dossier.

Othmane Benjelloun n’en est pas à son coup d’essai en Afrique subsaharienne : BMCE Bank est déjà présente au Mali où elle est actionnaire de référence de la Banque Malienne de Développement. Mais c’est surtout à travers sa filiale financière BMCE Capital que le groupe a marqué le continent par sa présence.

La présence marocaine sur le continent s’intensifie depuis quelque temps même si cela a pris du temps. Ainsi, des groupes comme l’ONA, Maroc Telecom, la RAM, Attijariwafa Bank, BMCE Bank ou encore Ynna Holding ont compris qu’il fallait se tourner vers l’Afrique subsaharienne. Le continent noir vaut désormais de l’or. Depuis des années déjà, plusieurs investisseurs marocains ont découvert l’Afrique comme un marché potentiel dans lequel ils ont lancé plusieurs projets.

Diplomatie bancale

Tout a débuté en 2000 à l’occasion d’une tournée de Mohammed VI en Afrique. « Sur invitation du Cabinet royal, de gros investisseurs sont sollicités pour accompagner le roi dans sa tentative de revenir en Afrique », raconte le patron d’un groupe marocain. L’enjeu est de taille. Le roi, au début de son règne, entend intensifier les relations avec les pays de l’Afrique subsaharienne autant sur les plans politique et diplomatique que commercial. Objectif : ramener de plus en plus de chefs d’Etat africains à épouser la cause nationale : le Sahara partie intégrante du Maroc.

Peu d’investisseurs relèveront le défi. Mais Maroc Telecom acquiert 54% des parts de Mauritel, la RAM prend à son tour 51% du capital d’Air Sénégal, la liaison maritime Casa - Dakar créée par la Comanav va jusqu’à Libreville depuis le 2ème semestre 2006, Attijariwafa bank ouvre une filiale sénégalaise dès janvier 2006. « Au-delà des avantages que cela suppose pour l’affaire du Sahara, le Maroc cherche par ce biais à devenir une tête de pont régionale en matière de banque, de téléphonie et de navigation », explique Alain Antil, auteur de l’étude « Le royaume du Maroc et sa politique envers l’Afrique subsaharienne », réalisée par l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) en novembre 2003.

Chaâbi pionnier

Un des premiers entrepreneurs marocains à avoir tenté l’aventure africaine n’est autre que Miloud Chaâbi. C’est en Côte d’Ivoire que l’homme d’affaires souiri a d’abord déposé ses bagages. Le groupe Chaâbi a commencé par la mise en place à Abidjan d’une usine de tuyaux PVC, qui emploie un millier de personnes. L’aventure a tourné court après les troubles qu’a connus la Côte d’Ivoire. L’usine a été condamnée à la fermeture en attendant que la situation revienne à la normale. Chaâbi n’en restera pas là puisque la présence de son groupe s’étendra à d’autres pays africains comme le Gabon, la Guinée-équatoriale et le Mali.

Au Gabon, Ynna Holding ambitionne de développer une promotion immobilière accompagnée de l’aménagement de zones de loisirs, touristiques et résidentielles de haut niveau ainsi que la création de centres commerciaux intégrés. En Guinée équatoriale, l’installation d’unités de production de matériaux de construction, de conduites pour l’assainissement et l’eau potable sont dans le pipe. Le groupe Chaâbi compte également se lancer dans la réalisation de projets immobiliers, de centres commerciaux et d’unités hôtelières dans les principales villes du pays. Au Mali, plusieurs projets sont à l’étude, notamment une usine de filature de coton, de broyage et de production de ciment.

En dehors de l’Afrique noire, le groupe Chaâbi également présent en Egypte où il a réalisé plusieurs projets de logements sociaux pour lesquels il a été primé au Caire. Une ombre vient cependant noircir le tableau de l’expérience africaine de Chaâbi. Un projet immobilier qui a capoté au Sénégal sous la pression de lobbys du pays et ce en dépit du fait que Chaâbi a signé une convention avec l’Etat sénégalais pour la réalisation de 10.000 unités de logement de haut et moyen standings.
Mais cela n’a pas freiné les ambitions africaines du groupe. Loin de là. « Nous sommes toujours prêts à investir là où il faut avec, bien entendu, une recherche légitime du gain », estime un des responsables du groupe.
L’ONA est également actif en Afrique, à travers Managem qui exploite les mines d’or au Congo principalement, et Oblong qui distribue les biens alimentaires en gros, avec un chiffre d’affaires de deux milliards de dirhams.

Managem a découvert de nombreux gisements de minerais en Afrique, notamment en Guinée et au Burkina Faso. Si l’ONA se tourne vers l’Afrique pour ses investissements essentiellement miniers, c’est parce que ce continent présente des richesses immenses en matière de métaux qui demeurent inexploitées par les opérateurs économiques.

Une autre filiale de l’ONA, Attijariwafa Bank, déjà présente au Sénégal, affiche de grandes velléités pour l’Afrique. Elle veut notamment accélérer son implantation en Afrique de l’Ouest. Attijariwafa, qui a ouvert une filiale et des agences à Dakar l’année dernière, avait annoncé en octobre, quelques mois seulement après son installation, le rachat de 66,67 % du capital de la Banque Sénégalo-Tunisienne (BST). Ce rachat, qui va aboutir à une fusion des deux entités, entre dans le cadre des ambitions du groupe marocain d’étendre son activité sur l’ensemble du territoire de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africain (Uemoa, huit pays).

RAM : une aventure périlleuse ?

L’aventure africaine de la RAM débute en 1999, date à laquelle la compagnie rachète 51% du capital d’Air Sénégal International (ASI). Cette dernière, reprise alors qu’elle était dans une situation financière délicate, n’a pas encore mis la tête hors de l’eau. Et les 48 heures de grève, déclenchée, les 26 et 27 mars dernier, par les travailleurs au sol, n’ont pas arrangé la situation de la compagnie. L’arrêt de travail a provoqué un trou d’air à Air Sénégal International. Le préjudice financier étant estimé à plus de 600 000 euros. Le directeur général de la compagnie, le Marocain Mohamed El Yaalaoui, a même révélé dans la presse sénégalaise que la compagnie a frôlé la cessation de paiement, voire le dépôt de bilan.

Une mésaventure qui ne décourage pas pour autant la RAM. La compagnie affiche de grandes ambitions pour l’Afrique. Sous-desservi, le continent constitue un bon créneau pour le transporteur national.

Celui-ci exporte son savoir-faire en investissant dans de nouvelles compagnies africaines dont il verrouille le contrôle grâce à une participation de 51%. La RAM voulait reproduire le même schéma avec Air Gabon International, à savoir la constitution d’une joint-venture avec une prépondérance dans le capital. Les négociations avec les autorités gabonaises étaient bien avancées. Mais aux dernières nouvelles, la RAM aurait jeté l’éponge, l’état de santé financière de la compagnie gabonaise étant plus catastrophique que prévu. La Royal Air Maroc ne s’arrêtera pas là. Elle compte entrer dans le capital d’autres compagnies.

Des négociations seraient en cours avec le Cameroun. La RAM a répondu à l’appel d’offres pour relancer cette compagnie qui intéresse également l’Afrique du Sud. Les deux grandes exigences de la RAM, à savoir que les Etats ne se mêlent pas de la gestion de la future compagnie et que les transporteurs nationaux actuels soient dissous, ne risquent pas d’être facilement acceptées.

Le transporteur national serait également intéressé par Air Cémac, une compagnie qui pourrait voir le jour suite à un partenariat avec les Etats de la communauté économique et monétaire d’Afrique centrale. La RAM prévoit aussi de s’étendre au-delà de l’Afrique francophone en desservant le Ghana, la Guinée et le Nigeria.

Le projet d’Air Mauritanie International, avec prise de participation majoritaire de Royal Air Maroc, est également dans le pipe. Les négociateurs attendaient seulement le verdict du deuxième tour de l’élection présidentielle du 11 mars pour reprendre les pourparlers. De sources proches de la direction de la RAM, on confirme le retour des Mauritaniens à la table des négociations. Toujours est-il que pour être une tête de pont en Afrique beaucoup reste à faire. « Avec des ambassadeurs passifs, des chargés d’affaires commerciaux qui se distinguent par leur incompétence et l’incapacité de nos chancelleries à transformer ces petites incursions économiques en atouts politiques, l’affaire n’est pas encore gagnée », confie un observateur. Avec deux millions de Libanais implantés dans le commerce, une déferlante chinoise qui rase tout sur son passage et de nouveaux investisseurs de Las Palmas, la concurrence est rude.

Le Journal Hebdo - Fédoua Tounassi

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Sujets associés : Investissement - Implantation

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