Africa command : L’enjeu stratégique du Maroc

21 juin 2007 - 01h12 - Maroc - Ecrit par : L.A

C’est un projet né de l’ancienne structure installée à Stuttgart en Allemagne et qui portait le nom d’EUCOM. Africa Command en est issu, et il sera en charge de plusieurs aspects des missions d’EUCOM. Selon le Pentagone et le département de la sécurité américain : « c’est la première réorganisation de la structure de commandement de l’armée américaine sur le plan mondial depuis 1946 ». Mais, pour le moment, il s’agit de la création d’une base de renseignement pour quadriller toute la région du Maghreb et du Sahel et une grande partie de l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. Annoncée par l’administration Bush le 6 février 2007, elle doit commencer à fonctionner le 30 septembre 2008.

À travers l’Africacom, le Pentagone souhaite s’installer durablement sur le continent africain. C’est sans compter sur d’éventuels obstacles politiques. Division de la planète selon des zones géographiques bien déterminées, telles qu’elles sont conçues par le Pentagone.

Pour comprendre un tel projet, il faut remonter aux plans américains depuis quatre ans. D’abord les multiples variations du programme Pan Sahel et la collaboration militaire entre plusieurs pays du Sahel, dont le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, qui s’ajoutent à des pays comme le Niger, le Tchad, la Mauritanie et le Sénégal. L’EUCOM, entre 2003 et 2006 a réalisé une progression de 70% en termes des opérations dirigées en Afrique. Ce qui explique à plus d’un égard, l’importance du continent dans les plans géostratégiques et géopolitiques des Etats Unis d’Amérique.

Il est aussi important de signaler, que parallèlement aux manœuvres au Sahel, il y a eu une partie de ces activités qui a eu lieu sur les sols de certains pays en Afrique occidentale, notamment dans le golfe de Guinée, entre la Côte d’Ivoire et l’Angola. Inutile de préciser que c’est là l’une des régions les plus riches en pétrole en Afrique.
Selon le département de l’énergie américain, le gouvernement de Washington mise sur les 25 % de ses importations qui doivent provenir de cette zone, d’ici 2015 contre un pourcentage de 19 % aujourd’hui.

Pour étayer cette thèse, dont le gouvernement américain ne se cache pas, il faut aussi prendre en ligne de compte les montants des investissements dans la région. Entre 1995 et 2005, les grandes compagnies pétrolières américaines ont investi plus de 40 milliards de dollars. Et entre 2005 et 2010, 30 autres milliards sont prévus. Mais, il n’y a pas que le pétrole qui fait tourner les intérêts américains dans la région. Il y a les volets sécuritaire et militaires qui sont aujourd’hui mis en avant.

Selon l’Ambassade américaine à Rabat, « une importante délégation américaine s’est entretenue, aujourd’hui, (le 11 juin 2007) avec les représentants des forces armées royales et du ministère des Affaires étrangères et de la coopération, à Rabat, pour échanger des points de vue sur les questions de l’avenir, ainsi que sur le rôle que propose le commandement militaire unifié pour l’Afrique ou l’US Africa Command, des Etats Unis ». Le projet est donc lancé et fait suite aux déclarations du président américain George, W. Bush qui remontent à février 2007. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Pour les responsables américains, les choses sont simples : fortifications des liens sécuritaires avec l’Afrique, préparations en masse pour contrer le danger terroriste et enfin, aboutir à une force militaire de coalition qui pourra gérer les dangers liés au terrorisme en Afrique par des troupes africaines. Voici ce qu’on lit en substance dans la feuille de route du projet Africa Command : « L’Africa Command doit aborder de façon plus centralisée et plus efficace la présence militaire en Afrique, de façon à multiplier et faciliter désormais des expéditions militaires dans la région ».

Mais il y a plus, et la direction à Washington, sait qu’il faut capitaliser sur les expériences des initiatives PanSahel entre 2003 et 2007 : « Ce qui manque aujourd’hui, en Afrique, c’est un mécanisme continental de stabilisation. Plusieurs tentatives ont bien été faites pour mettre sur pied des organisations régionales, comme la Communauté économique des États ouest-africains (ECOWAS) ou l’Union africaine. Mais ces organisations ont été marginalisées, vu l’absence d’un soutien solide de la part des pays développés. Les Nations unies essaient sans y parvenir, d’unir le monde pour aborder les grands problèmes, de sorte que l’Afrique puisse aller au-devant d’un avenir pacifique ». C’est ce qui ressort d’une étude américaine confiée à des spécialistes en géopolitique, pour amorcer le projet Africa Command. Et on peut lire dans la même étude, que « la meilleure façon de montrer au monde que les États-Unis sont vraiment en phase avec l’Afrique, consiste à installer un Commandement africain, comme seule structure de commandement pour l’ensemble du continent africain ». Les choses sont on ne peut plus claires : le but à terme, c’est une structure militaire coiffée par les USA et regroupant des troupes de plusieurs pays d’Afrique.

Délégation américaine au Maroc

Mais dans l’immédiat, le projet est lancé d’abord comme une base de renseignement. Ryan Henri, le sous-secrétaire principal de la Défense à Washington a déclaré que U.S. Africa Command, connu aussi sous le nom d’Africom « ne signifie pas qu’il y aurait des forces américaines additionnelles américaines sur le continent… C’est surtout un siège et un point de planification ». Qui va aider et appuyer, toujours selon les dires de Ryan Henri, les dirigeants des nations africaines et les communautés économiques régionales. Opérationnel dans un an le projet est lancé et le Maroc a été désigné pour abriter une telle base. Et les coulisses de la politique parlent déjà d’un réel ballet entre Tunisiens et Marocains pour tirer le gros lot. Et cela se comprend (lire interview de Jean Charles Brisard). Une structure de renseignement pour commencer et qui va sans nul doute, selon beaucoup d’observateurs aboutir à une restructuration de la présence militaire américaine en Afrique. Si jusqu’ici, les activités militaires des États-Unis en Afrique étaient partagées entre l’USEUCOM, le USCENCOM et le USPACOM, ce nouveau projet va centraliser toutes les opérations militaires et sécuritaires dans cette zone.

Et la note de l’administration américaine explique que « L’AFRICOM sera responsable de l’ensemble du continent africain à l’exception de l’Égypte qui reste sous le Commandement central. Il englobera également les îles du Cap-Vert, la Guinée équatoriale et Sao Tomé-et-Principe, ainsi que les îles des Comores, de Madagascar, de Maurice et des Seychelles dans l’Océan Indien ». On le voit bien, le projet dépasse la zone du Sahel et vise la totalité du Continent, voire plus loin. Enjeux stratégique et économique de taille, influence grandissante de la Chine et de l’Inde, le retour de la Russie, autant d’ingrédients qui ont accéléré le processus. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que pour ce projet, les désignations sont déjà faites. Ainsi le commandant adjoint de l’Africom « devrait être au début un membre du personnel du Département d’État des États-Unis et plus tard, il pourrait être détaché d’autres ministères des États-Unis, ce qui montre la nature mixte, militaire et civile, de ce nouveau centre de commandement. » L’AFRICOM devant regrouper un millier de personnes, on parle déjà de plusieurs unités de travail et de nombreux services qui rendront tous compte à un commandement centralisé. Ce qui pourrait aussi aboutir à une décentralisation pour que d’autres pays arrivent à gérer la structure, toujours sous tutelle américaine.

Réactions des pays maghrebins : Le niet d’Alger et de Tripoli

L’idée même de créer un point de chute pour le Pentagone en Afrique et spécialement dans la partie nord du continent, semble irriter à la fois l’Algérie et la Libye. A l’issu d’un entretien le 10 juin à Alger avec le sous-secrétaire d’Etat américain à la Défense, Rayan Henry, les autorités algériennes ont insisté sur « les perspectives des efforts déployés par l’UA, en vue de valoriser le potentiel de sécurité collective, à l’échelle du continent dans la conformité à son pacte de non-agression et de défense commune ». En clair, il n’est pas question de substituer l’Africa Command aux mécanismes de l’Union africaine déjà existants. Cette Union Africaine, dont le Maroc ne fait pas partie depuis le début des années 1980. La tournée de la délégation du Pentagone qui s’est poursuivie à Rabat, Tripoli, au Caire, Djibouti et Addis-Abeba, siège de l’UA, a permis de dégager un son de cloche identique à celui d’Alger, en l’occurrence à Tripoli. Dans la capitale libyenne, les membres de la délégation américaine, ont été reçus le 13 juin par le vice-ministre libyen des Affaires étrangères, Ali Abdel Salam Triki, qui leur a réitéré l’opposition de son pays à la mise sur pied d’un commandement militaire américain en Afrique.

Toutefois, force est de constater que l’approche des Algériens est différente de celle des Libyens. Les premiers s’inscrivent déjà dans une logique de bloc, celle de l’Ouest, dirigée par les Etats-Unis, et celle de l’Est conduite par la Russie. Car une fracture entre ces deux grandes puissances, est bel et bien en train de naître. Quant à la Libye, elle reste attachée à sa stratégie d’ouverture vers l’Afrique. Le Colonel Kadhafi a été l’un des premiers dirigeants, sinon le premier tout court, à parier sur une union africaine réelle et dans tous les domaines. Accepter aujourd’hui, une présence occidentale, et de surcroît américaine sur le continent, reviendrait à renier tous les principes pour lesquels Tripoli a milité pendant plusieurs années. Ceci dit, le plan américain d’ériger un commandement militaire en Afrique, qui pourra facilement se transformer en une multitude de bases stratégiques de l’armée américaine, inquiète en premier lieu la France, qui perd petit à petit ses points d’appui en Afrique, puis la Russie qui a fermement l’intention d’endiguer l’hégémonie américaine dans ce continent riche en pétrole et matières premières précieuses, et enfin la Chine qui a déjà mis un pied en Afrique, notamment par le biais des échanges économiques et l’exploitation du pétrole.

Gazette du Maroc - Abdelhak Najib

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