Les Marocains d’Athènes : L’odyssée de l’Attique

7 décembre 2006 - 19h13 - Maroc - Ecrit par : L.A

Les Marocains sont de véritables globe-trotters. Ils se sont implantés partout. Et la Grèce ne leur a pas échappé. Notre reporter a suivi leurs traces pendant quelques jours pour voir comment ils vivent, ce qu’ils exercent comme métier et quelles sont leurs situations. Un voyage dans l’Attique au contact d’une communauté marocaine qui n’a pas à se plaindre entre beau temps, beaux paysages, manne du tourisme et belles perspectives d’avenir. Rencontres avec quelques Marocains qui font feu de tous bois.

Il faisait très beau ce mardi 24 novembre à Athènes. Henri Miller disait quand il écrivait son Colosse de Marroussi que dans certaines régions de Grèce, on pouvait être à l’endroit le plus proche du soleil. Je le crois volontiers. Un 20 degrés corsé et méditerranéen. L’occasion de faire une belle virée du côté de l’Acropole, ce promontoire qui surplombe la ville d’Athènes et qui garde du haut de 3500 ans la grande cité des dieux. Pour peu que l’on y mette du sien, on peut croiser quelques divinités tutélaires. Il suffit de les imaginer pour leur donner corps à tous ces Prométhée, Sisyphe, Tantale et autres Eros. Pour les autres gros calibres genre Zeus et Apollon, ils étaient occupés à traquer un Dionysos égaré sur les flancs d’une mer couleur de bonheur. Bref, l’Acropole était le prélude pour une belle entrée en contact avec la faune locale.

Brève balade au centre

Du grand marché d’Athènes en passant par le marché aux puces de Monastiraki, les rues de Kolonaki avec ses boutiques chic et ses musées d’art contemporain, le mont Lycabette, d’où l’on a une vue panoramique de la ville, le quartier du Plaka, le plus ancien d’Athènes et l’un des plus animés ou alors la place Syntagma et l’ancien palais royal qui abrite le Parlement, c’est une ville trépidante qui s’offre à moi. Mais où pourrais-je rencontrer un Marocain histoire de faire causette et surtout pouvoir écrire ces lignes à mon retour à Casablanca (C’est bien pour cela que je suis là !) La cité qui peut s’enorgueillir d’être à la fois la plus ancienne et la plus récente capitale du vieux continent mérite largement qu’on scrute, et pas seulement parce qu’il y a l’Acropole. Un incontournable certes, somptueux de surcroît, mais qui cache bien d’autres richesses de la cité. Il fait bon se mettre au rythme de ses habitants, et donc au rythme du soleil, pour partir à leur rencontre. Il fait encore meilleur s’accorder quelques pauses, à la terrasse d’un café, à l’ombre d’une placette, dans le chœur d’une église orthodoxe, au coin d’une ruelle et… écouter. Bref, c’est un petit restaurant qui ne paie pas de mine, qui m’ouvre les portes de la ville. Rien de telles que des crevettes à l’ail et au basilique avec une pinte de quelque breuvage céleste, et je suis bon pour tenir la conversation aux Titans et autres bêtes du Styx. Le Serveur n’est pas grec (non ce n’est pas lui le Marocain), mais Syrien. Facile d’engager la conversation avec un arabophone, même dans son propre dialecte, à condition de ne pas aligner tous les « S » dont les Grecs sont si friands. Connaît-il des Marocains dans le coin ? Oui, mais ils sont du côté du Pirée. Très loin. Pas si loin que cela, la presque île de l’Attique est facile à naviguer, il faut juste une bonne carte et de la patience pour rouler dans une ville où l’on aime les bouchons, les embouteillages et les sonorités disparates des klaxons.

Un bon repas avec un local

Avant même de s’asseoir, on passe devant un immense étalage de plats, on choisit, et on commande. Toute la cuisine grecque est présentée, des traditionnels souvlakis (les sandwiches grecs) en passant par la non moins traditionnelle salade grecque (tomate, concombre, oignon, poivron, feta et olives noires) sans oublier les succulents Tiropitta (chaussons au fromage) et la Melitzanosalata (caviar d’aubergine). Une succession de couleurs et de goûts qui font de la taverne où bosse le Marocain un lieu particulièrement fréquenté et où l’heure de pointe s’étale entre midi et 2 heures du matin. Le Marocain en question se prénomme Khalil. 26 ans. Le corps légèrement athlétique et la dégaine de celui qui se veut un tantinet fringant. Il a appris le Grec depuis quatre ans qu’il vit à Athènes. « Je suis venu ici pour d’autres raisons, mais bon, les choses n’ont pas été comme je les imaginais. J’ai décidé de tenter ma chance et de rester. Au début, j’ai trimé et surtout j’ai désespéré, mais au bout d’un moment j’ai trouvé une place dans un resto au bord de la mer. Et là, j’ai pu m’installer. Pour tout vous dire, ce n’est pas la joie tous les jours, mais je suis heureux de ma vie ici. Surtout l’été où je peux me faire beaucoup d’argent. Je vais même me marier dans quelques mois avec une Grecque ». Ce qui facilitera beaucoup de choses. Il rêve déjà d’une vie meilleure même s’il pense que son travail dans la restauration reste, de loin, ce qu’il peut faire de mieux.

Khalil connaît d’autres Marocains. Il cite des noms : « Idriss, Mostapha, Ali… ils sont tous dans le domaine. Les boîtes de nuit, les bars ou alors des restaurants. Je connais même deux Marocains qui sont chauffeurs de taxi, mais ceux-là sont installés ici depuis plus de quinze ans. Ils sont mariés et ont des enfants qui vont dans des écoles grecques. » Khalil me parle aussi d’autres Marocains qui n’ont pas eu de chance. « Ils sont venus de Turquie comme beaucoup d’autres. Ils passent par la région d’Ipsala à la frontière avec la Turquie. Un endroit très dangereux. Mais ici, il leur faut des contacts pour passer inaperçus et surtout trouver, très vite, du travail. Ce qui n’était pas le cas de beaucoup d’entre eux. Alors, ils ont dû laisser tomber. Certains ont été renvoyés au Maroc par la voie consulaire et d’autres ont tenté le passage vers l’Italie par le nord. » Ce que raconte Khalil est vrai. Le point de passage d’Ipsala est tristement célèbre en Grèce et en Turquie. D’ailleurs sur la même frontière, à quelques encablures d’un fleuve en furie où les rapides sont, dit-on, infranchissables, les Turcs ont érigé un pont du nom d’Uzün Coprü, qui veut dire « Le pont de la tristesse ». C’est par là que tous les candidats à l’émigration sont passés et continuent de tenter le destin. Certains y arrivent. D’autres sombrent dans l’oubli au fond de la rivière. S’ils ne sont pas pris par des chasseurs de têtes qui sont récompensés de 500 dollars par tête de clandestins en passage vers Salonique.

Le grand marché

Khalil nous parle d’un ami à lui qui gère une stalle dans un marché de la ville.

A l’intérieur du marché aux poissons : de toutes sortes, de toutes tailles, de toutes couleurs et même de ceux dont on ne peut pas, avant de les avoir vu, soupçonner ni l’existence, ni la comestibilité. Devant leurs yeux ronds s’agite une foule grouillante et vociférante, toute occupée à ne pas glisser sur le sol mouillé. On y vient chercher son poisson, mais on en profite aussi pour boire un café et discuter, sans jamais se lasser, de tout, de rien, de la vie.

Tout autour de la halle, le marché à la viande : chacun sa spécialité ; la volaille, le bœuf, le porc ou l’agneau, les abats ; et puis des choses qui me rappellent chez moi à Casablanca du côté de Derb Ghallef, une patte de devant, une de derrière, une tête de mouton à l’œil exorbité. Derrière les étalages, rangés avec un soin absolu, trônent les bouchers, le tablier maculé, la cigarette au bec et le café à la main. L’ambiance de ces halles est inouïe, presque irréelle. « Je suis ici depuis deux ans. Avant, je travaillais comme cuisinier dans un hôtel, mais on m’a demandé de laisser la place à un autre. C’est là qu’un des types qui travaillait avec moi ma proposé de m’occuper du commerce de son oncle. Je vends du poisson, j’ai un local et je vais avoir mes papiers parce que le vieux bonhomme m’a déclaré et que j’ai fait tout ce que les autorités m’ont demandé pour avoir un permis de travail et tout ce qui va avec ». Abdelghani doit avoir vers les 35 ans. La mine un peu grise, l’air légèrement pas content, mais bon, l’ambiance du marché est là. Et lui, il assure. « Je suis arrivé clandestin par la Turquie. Et j’y suis encore. La Grèce c’est comme le Maroc, il faut la voir l’été, c’est vraiment très bien ici ». Et comment, surtout quand il me raconter des histoires sur les filles qui parlent toutes les langues et qui n’hésitent pas à passer une bonne soirée avec le Marocain dans son local, un bon poisson cuisiné par ses soins pour les dîner et une bouteille d’un breuvage rouge qui fait monter la chaleur et donne des ardeurs.

A l’extérieur de la halle, le marché se prolonge sur une petite place où règnent des marchands de fruits et légumes, frais ou secs, olives vertes et noires. Beaucoup plus calme et presque reposant, on y trouve toute la base de la cuisine grecque. Et surtout une faune multiraciale : Sénégalais, Guinéens, Chinois, Pakistanais, Turcs, Arméniens, Albanais, Macédoniens, Egyptiens, Libanais et Palestiniens. Ceux-là sont pour la plupart des réfugiés. Deux Marocains vendent des épices et font le voyage entre le Maroc et Athènes deux fois par un. L’un s’appelle Bouchaïb et l’autre Abederhmane. Ils sont d’El Jadida. Un petit magasin et des tonnes d’épices. On se croirait dans le quartier des Habous à Casablanca. Pour eux : « ça marche très bien. Les Grecs aiment les épices, et ils respectent notre cuisine ». Bouchaïb dit connaître au moins une douzaine d’autres Marocains qui font du commerce entre la Grèce et le Maroc : « des femmes qui vendent des habits et des tissus et des hommes qui viennent ici acheter des articles de maison pour les revendre au Maroc. On peut trouver des choses pas cher ici surtout si on commerce avec les Asiatiques ».

La nuit, les yeux dans l’eau

« C’est tous les soirs comme ça. On sort beaucoup ici, et on picole bien. Ca fait du boulot pour moi toute l’année. » Abdelali est serveur dans une boîte de nuit. « Depuis trois ans, mais j’ai surtout travaillé à Salonique avant de venir ici avec un ami Grec qui m’a conseillé de m’installer ici. D’ailleurs, on habite ensemble pas loin du marché au centre ». Une tournée pour lui, histoire de me souhaiter le « marhba » de circonstance. Très gentil. Et une flopée d’olives grosses comme des mandarines. Mais il faut aussi avaler quelques poissons, entre l’anchois et la sardine miniature, avec tête, squelettes et les nageoires. Très bon. Le tout arrosé d’un bon cru local. Abdelali me fait ma fête. Je suis l’un des rares compatriotes qu’il ait vu depuis l’été dernier. Il m’invite chez lui, mais pas moyen, pas le temps. « Une autre fois, on fera la tournée des boîtes d’Athènes ». Promis, mon cher compatriote…

Abdelali connaît le milieu de la nuit : « Je rencontre beaucoup de Marocains, ils sont de passage, ou alors ce sont des étudiants ici à Athènes. Tu sais il y a, je crois plus de six universités. Il y a aussi beaucoup de Marocains mariés à des Grecques, qui se sont installés ici. Ils travaillent dans le commerce ou sont salariés dans des sociétés… Non, il n’y a pas de quartier marocain parce que nous ne sommes pas nombreux comme les Pakistanais ou les Égyptiens, mais j’en vois de plus en plus qui viennent chercher du travail ici et cela marche pour eux. » Abdelali insiste sur le fait que les Marocains ne sont plus que des clandestins en provenance d’Istanbul et en partance vers Milan, Rome ou Turin. Non, ils viennent avec des visas réglo et tentent de se débrouiller. « En un mois, s’ils trouvent un boulot, ils restent, sinon, ils galèrent un peu. Mais avec la folie du tourisme ici, crois-moi, je ne connais pas un seul patron qui va dénoncer un étranger bossant chez lui. On gagne moins que les Grecs, mais assez pour bien vivre ». Abdelali m’invite à un dernier verre pour la route et me donne quelques adresses pour le lendemain. Je lui fais savoir que ce n’est pas possible, mais que sûrement dans un prochain voyage, je lui offrirai un bon gueuleton quelque part.

Dehors, je retrouve la douceur d’une nuit étoilée. Je pense aux miens et je marche un bon coup sur les hauteurs de la cité. Une belle balade nocturne sans soucis avec de vieux mythes plein la tête et un sourire sur les lèvres. Et derrière le bruit d’une ville qui souffle et crache toutes les poussières de la nouvelle déesse modernisation, il y a celui, léger et rêveur, du vent dans les platanes des petites places, de l’eau qui coule dans les fontaines, de la nuit douce et calme telles que les Athéniens ont dû la vivre à l’époque d’Homère et d’Hésiode. Et surtout il y a le choc des verres à la table d’une taverne. Et c’est là que je suis allé boire à la santé de ma fille.

La Gazette du Maroc – Abdelhak Najib

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