Karim Ghellab : "Le code n’apporte que des droits au citoyen"

27 janvier 2009 - 19h31 - Maroc - Ecrit par : L.A

Il aura fallu plus de dix ans pour qu’enfin la réforme du code de la route aboutisse. Le ministre de l’Equipement et du Transport dit avoir tiré les leçons des mouvements de grève qui avaient paralysé le pays en 2007. « Il ne sert à rien d’avoir raison tout seul », concède-t-il. Le texte voté la semaine dernière à la Chambre des représentants est le fruit d’un long processus de tractations politiques. Sur la substance même de la réforme, l’essentiel a été préservé, soutient Karim Ghellab. Entretien.

Pourquoi il a fallu autant de temps pour adopter une réforme qui s’imposait au vu des drames des accidents de la circulation ?

Le gouvernement n’était pas le seul acteur dans ce processus. Il a tout fait pour aller le plus vite possible, mais il fallait arriver à un texte qui emporte l’adhésion la plus large possible. Il a essayé d’accélérer la mise en œuvre de la réforme en inscrivant la disposition sur les radars dans le projet de loi de Finances, mais le Conseil constitutionnel ne l’a pas suivi.

Il fallait faire tout pour passer d’une conviction personnelle, celle du gouvernement, à une conviction partagée, c’est-à-dire, avec le Parlement. Les parlementaires sont soucieux de leurs responsabilités, ils ne sont pas prêts à voter un texte qui ne leur convient pas. Il a fallu arriver à une mouture acceptable avec une mosaïque d’opérateurs diffus en plusieurs catégories : transporteurs, conducteurs de taxis, associations professionnelles, etc. Croyez-moi, ce n’est pas évident de se mettre d’accord avec tout ce monde, mais c’est une approche tout à fait normale.

Ce qui aurait été anormal, c’est le passage en force, et que la réforme du code de la route passe inaperçue. Ce n’est pas du temps perdu car l’appropriation collective de cette réforme est une garantie du succès de sa mise en œuvre. Il ne sert à rien d’avoir raison tout seul pour une réforme de cette ampleur.

Vous reconnaissez donc avoir été seul à avoir raison à un moment...

Probablement, oui. On peut le dire comme ça.

A force de vouloir convaincre tous les groupes de pression, n’avez-vous pas vidé ce texte de sa substance ?

Bien au contraire. Si ce code avait été rejeté au Parlement et qu’il y avait une grève en ce moment, vous auriez été le premier à me reprocher d’avoir été trop rigide. Je suis de ceux qui pensent qu’il vaut mieux transiger de temps en temps. Un bon consensus vaut mieux qu’une grosse grève. Dans les grands équilibres, le texte voté à la Chambre des représentants garde le cap et maintient les changements que le gouvernement souhaitait.

Contrairement à ce qui avait été colporté, ce n’est pas un texte orienté sur les sanctions, il s’agit d’une réforme globale qui brosse le système des transports routiers dans sa globalité et apporte de nouveaux droits au citoyen. Partout où des carences pouvaient avoir des effets sur la sécurité routière, des corrections ont été apportées. Et cela concerne toute la chaîne : chauffeur, véhicule, auto-écoles, centres de visite technique, contrôle, etc. Cette réforme est le résultat d’une conviction partagée avec le Parlement dans toutes ses composantes. Ce n’est plus seulement le texte d’un ministère.

Qu’est-ce qui change sur le permis de conduire ?

La grande nouveauté est qu’il en est fini avec le permis de conduire à vie et l’institution d’un permis professionnel. Dorénavant, le permis aura une durée de validité de 10 ans. Au terme de cette période, il faudra se soumettre à un examen médical approfondi pour prouver son aptitude à tenir le volant. Pour les permis délivrés avant la date de publication de la loi, ils restent valables dix ans à compter de cette date.

La dotation initiale sur le permis est de 24 points, en France, c’est moitié moins (12). Elle est de 25 points en Tunisie et 16 en Jordanie. Une infraction moyenne vaudra à son auteur la perte de 4 points. Selon la gravité des cas, la perte des points va de 2 à 16.

Comme pour le bonus/malus, un mécanisme de récupération de points est introduit par le législateur. Il vise à récompenser les « bons » conducteurs, c’est-à-dire, ceux qui après perte de points n’auront pas commis d’infractions pendant deux ans ou qui auront suivi des formations de recyclage à la conduite.

Comment faire reculer le bakchich sur la voie publique ? Il sera toujours possible d’« acheter » sa contravention.

Bien sûr, je ne suis pas naïf, mais je crois aussi qu’il n’y a pas de fatalité sur la question de corruption. Dans ce nouveau code de la route, nous avons introduit des dispositions pour compliquer le plus possible le contournement de la loi. Pour le contrôle routier par exemple, l’intervention humaine est réduite au minimum. Par exemple, si vous êtes en excès de vitesse, vous allez être flashé par le radar et l’on vous enverra, quelques jours après, l’amende à domicile.

Nous avons par ailleurs supprimé tout pouvoir d’interprétation à l’administration. Prenez le cas de la mise à la fourrière. Le texte actuel stipule que tout véhicule dont les conditions de circulation mettent en danger la sécurité routière peut être mis à la fourrière. Dans le code adopté à la Chambre des représentants, le nombre de jours et les conditions d’une mise à la fourrière sont précisés. Cela laisse peu de marge à l’arbitraire.

Par ailleurs, la procédure de contrôle est abordée dans le moindre détail. Sur la voie publique, les agents seront identifiables par un badge indiquant nom, prénom ainsi que le numéro de matricule. C’est une protection supplémentaire pour le citoyen. De même, il ne sera plus permis d’intercepter les véhicules sur les autoroutes. L’interception ne peut avoir lieu qu’à une sortie d’autoroute ou dans les stations de péage. En cas de retrait de permis suite à une infraction, le conducteur se verra remettre un permis provisoire valable pendant quinze jours. Il devient enfin possible de payer la contravention par chèque ou d’autres moyens de paiement. Vous voyez, ce nouveau code de la route n’apporte que des droits aux citoyens. C’est eux qui contrôleront les contrôleurs.

Enquête systématique en cas d’accident

Si le législateur n’a pas totalement accédé à la requête des opérateurs structurés de transport de marchandises en mentionnant explicitement la coresponsabilité des chargeurs, il introduit néanmoins la recherche systématique de responsabilités. Le principe énoncé dans le texte est clair : toute personne ayant ordonné, en connaissance de cause, un transport dans des conditions interdites engage sa responsabilité. En cas d’accident, une double enquête administrative et judiciaire sera automatiquement ordonnée afin d’établir les responsabilités de différents acteurs de la chaîne. Aujourd’hui, l’ouverture d’une enquête judiciaire relève du pouvoir discrétionnaire du procureur du Roi.

Le chauffeur est, par exemple, responsable de toutes les infractions liées au code de la route et le propriétaire du véhicule de l’état du camion. Une infraction au niveau de l’état technique du véhicule ne vaudra pas au chauffeur le retrait de son permis, mais celui de la carte grise afin de toucher directement le propriétaire, explique le ministre de l’Equipement et du Transport.

Lorsqu’un accident survient, cela signifie qu’il y a faute quelque part, justifie Karim Ghellab. C’est pour cela que nous avons estimé qu’il fallait aller dans l’analyse détaillée des responsabilités, poursuit le ministre. Tous les cas de figure sont envisageables : non-respect du repos règlementaire par le conducteur, déficit de formation, surcharge du véhicule, etc. Et s’il s’agit du mauvais état de la route, c’est l’Etat (via le gouvernement) ou la collectivité locale qui serait tenu pour responsable.

Taxi, poids lourd : Permis professionnel obligatoire

Le texte introduit par ailleurs le concept de permis professionnel pour les conducteurs de poids lourds, des transports en commun et des taxis. Le seul fait d’avoir un permis ne suffira plus à conduire un poids lourd, un car de transport en commun ou un taxi. Il faudra compléter par une formation de base dans un institut de formation style « OFPPT ». Et tous les cinq ans, recyclage obligatoire à travers une formation spécifique. Dans un premier temps, au lancement de la mise en œuvre de la réforme, ces formations seront dispensées gracieusement, promet le ministre de l’Equipement et du Transport.

La loi institue des durées minimales de repos et des durées maximales de conduite pour les chauffeurs professionnels. « C’est un dispositif structurant pour la profession », fait remarquer le ministre avec insistance. Avant de poursuivre, « ce ne sont pas des sanctions », comme pour rappeler l’incompréhension de la corporation qui était jadis en pointe dans le mouvement de contestation du projet de réforme du code.

Karim Ghellab est convaincu que cette disposition servira de levier à l’assainissement du métier et lui apportera plus de protection vis-à-vis des employeurs. Dans les transports routiers (des biens et des personnes), les conditions de travail des conducteurs relève encore du Moyen-Age à de rares exceptions près. L’écrasante majorité exerce dans la jungle sociale : pas de déclaration CNSS, des horaires de travail démentiels, etc. Par ailleurs, aux abords des gares routières et des ports, le travail à la journée est encore une pratique courante. Le ministre espère qu’en tirant cette profession vers le haut, cela rejaillit de facto sur la sécurité routière.

Source : L’Economiste - Abashi Shamamba & Jihad Rizk

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