Les ressorts de la diplomatie marocaine

31 juillet 2008 - 23h55 - Maroc - Ecrit par : L.A

Dimanche 13 juillet, alors que les chefs d’Etat affluent à Paris, le Roi Mohammed VI n’assistera pas au sommet de l’Union pour la Méditerranée pour cause d’agenda chargé. Une absence qui intriguera les observateurs politiques aussi bien que les simples citoyens. En effet, sa présence à cette rencontre était attendue et officialisée des semaines auparavant, le ministère des affaires étrangère du Royaume ayant officiellement confirmé la participation du Souverain via l’ambassade du Maroc à Paris.

C’est donc le Prince Moulay Rachid qui représentera le Maroc. Au cours des jours qui suivent, aussi bien du côté de Rabat qu’à Paris, on se montre rassurant. L’absence du Souverain n’a pas d’impact sur les relations du Maroc avec la France ni avec l’Union européenne. Pourquoi ce revirement de dernière minute alors que le Maroc a soutenu depuis le début l’initiative méditerranéenne ? On se perd en conjectures dont la plus récurrente est que le Maroc n’abritera finalement pas le secrétariat général de l’UPM et qu’il en concevrait quelque rancœur.

L’autre hypothèse voudrait que le Royaume ait manifesté son agacement devant les égards prodigués à l’Algérie. Paris a en effet fortement sollicité le président algérien à travers l’envoi d’émissaires de haut rang, dont le Premier ministre, alors même que Abdelaziz Bouteflika a affiché son scepticisme à propos de l’UPM et, une semaine avant le sommet, maintenait le suspense sur sa présence. S’agit-il comme le pense un diplomate à la retraite d’une réaction du Royaume face à l’attitude de la France qui a considéré la venue du Roi du Maroc comme un acquis ? Au ministère des affaires étrangères, on rejette catégoriquement toutes ces hypothèses. Mais Taïeb Fassi Fihri, le ministre de la diplomatie du Royaume, ne fournit pas plus d’explications. Circulez, y’a rien à voir.

Ce n’est cependant pas la seule absence de Mohammed VI à des événements régionaux ou intercontinentaux qui aura donné lieu à questionnements. En juin dernier, il n’a pas non plus assisté au mini-sommet de Tripoli, consacré à l’UPM justement, et qui a réuni plusieurs chefs d’Etat maghrébins en plus du président syrien. Certes, il s’est fait représenter par son Premier ministre, mais c’est également Abbas El Fassi qui a assisté à la Conférence internationale sur le développement de l’Afrique (TICAD) au Japon, en mai dernier, rencontre qui a vu la participation de plusieurs chefs d’Etat africains.

Mohammed VI bouderait-il les grandes rencontres intercontinentales ou régionales ? Ou la diplomatie, de manière plus globale ? A ces interrogations s’ajoutent des interprétations divergentes à propos de frictions ayant émaillé les relations entre le Royaume et des pays considérés comme amis ou alliés. Ainsi en est-il de la convocation pour consultation - et non le rappel - de l’ambassadeur du Maroc au Sénégal, le 4 janvier dernier, consécutif à la présence d’un leader du parti de l’opposition au congrès du Polisario à Tifariti. L’opinion publique avait jugé la réaction marocaine excessive.

De même le rappel - cette fois-ci - de l’ambassadeur du Maroc en Espagne, à la suite de la visite effectuée par Juan Carlos à Sebta et Mellilia, les 5 et 6 novembre 2007, avait été considéré par nombre d’observateurs comme une bourde diplomatique.

85 déplacements officiels à l’étranger depuis 1999

Commençons par le commencement, les déplacements royaux. Si, à première vue, le Roi s’investit énormément dans le développement économique et social du Maroc, sillonnant routes et chemins pour lancer, superviser, contrôler la réalisation de moult projets, ce n’est pas pour autant que l’activité diplomatique du Royaume est atone, bien au contraire. Depuis son accession au Trône, le Roi a effectué quelque 80 voyages à l’étranger sans compter les visites privées.

C’est également au cours des neuf dernières années que le Maroc a le plus fait fructifier ses relations à l’étranger. Accords quadra de libre-échange avec la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte, ainsi que des accords avec la Turquie, les Emirats Arabes Unis et les Etats-Unis, sans compter un développement important des secteurs privé et public en Afrique.

Si la palme des visites revient sans conteste à la France, avec une série de visites officielles et de nombreuses visites privées, c’est sans nul doute en raison des relations étroites qui lient les deux pays aussi bien sur le plan économique (premier partenaire du Maroc) que social (plus importante population de MRE à l’étranger). Le même schéma peut d’ailleurs être mis en avant dans le cas de l’Espagne (visitée trois fois par le Souverain) qui, certaines années, occupe le rôle de premier investisseur étranger chez nous et avec laquelle les relations économiques se sont particulièrement intensifiées ces dernières années. Cela sans compter une coopération tous azimuts en matière de lutte contre l’immigration clandestine, contre le terrorisme ou encore en matière sécuritaire.

Mais il y a plus que cela. France et Espagne sont membres de l’Union européenne et constituent, à ce titre, des défenseurs du Royaume auprès des instances de Bruxelles. Un geste que le Maroc rend bien à ses voisins en se posant comme un modèle de développement économique et social parmi les pays de la rive Sud de la Méditerranée. N’est-il d’ailleurs pas celui qui est le plus proche de la réalisation d’un « statut avancé » ?

Mais, l’intérêt économique, les relations affectives privilégiées et les relations de bon voisinage ne sont pas le seul moteur de l’action diplomatique marocaine. Il y a également le dossier du Sahara dont il faut tenir compte.

A ce titre, il est intéressant de noter que l’Hexagone a clairement appuyé la thèse marocaine de l’autonomie et que l’Espagne, malgré une opinion publique influencée par la propagande du Polisario, reste un allié de taille dans la résolution du conflit. Mais ce soutien est-il une raison pour faire des concessions sur les principes ? Selon Taïeb Fassi Fihri, « il est des principes et des causes sur lesquels le Maroc est naturellement ferme. » La suite des événements donnera raison à la diplomatie marocaine puisque c’est le voisin ibérique qui fera le premier pas en envoyant son ministre des affaires étrangères à Rabat plaider pour un retour à la normale.

Moyen-Orient : moins de visibilité médiatique mais plus de résultats

Parallèlement à ces relations avec le Vieux continent, le Royaume continue à jouer la carte de la diplomatie en direction d’autres pays, notamment au Moyen-Orient. Toutefois, l’observateur qui voudrait tenter la comparaison entre l’aura du Maroc dans cette région du monde au cours des années 90 et celle d’aujourd’hui serait déçu. Certes, le Souverain apporte son écot aux différents sommets arabes en veillant à répondre présent, mais le rôle de faiseur de paix, de médiateur joué par Hassan II semble s’être quelque peu atténué.

Une idée qui fait réagir Taïeb Fassi Fihri. Selon lui, « le Maroc n’est pas moins actif qu’auparavant dans la région, seulement on ne peut continuer à se nourrir de politique. Le monde a changé, les pays arabes doivent également développer entre eux des relations bilatérales ou multilatérales, tendant vers le développement humain, économique, et social. Sa Majesté, depuis son accession au Trône, a toujours milité dans ce sens ». Il reste que l’impression selon laquelle le Maroc est moins engagé, plus distant envers la cause palestinienne est vivace.

M. Fassi Fihri, propose, lui, un autre prisme de lecture. « La cause palestinienne, dit-il, est aujourd’hui engagée dans un processus de négociation pour la paix. Ce dont la Palestine a besoin, c’est d’une voix arabe concertée de soutien, mais également d’un appui à son développement. Cela, bien sûr, sans oublier que le Maroc est membre du comité de suivi de l’initiative de paix arabe ». En d’autres termes, les interventions théâtrales et fort médiatisées ont cédé le pas au pragmatisme de la croissance aux bienfaits partagés. Cela expliquerait-il par exemple l’absence du Souverain à certaines rencontres internationales ? Le ministre des affaires étrangères se retranche derrière des raisons d’agenda. La logique incite pourtant à penser que ce qui sous-tend l’activité diplomatique du Souverain, c’est l’action plutôt que le paraître.

Une hypothèse qui trouve par exemple sa confirmation dans le développement intense des relations avec les Emirats Arabes Unis (deuxième pays le plus visité par Mohammed VI) qui se sont traduites dans les faits par des investissements entamés ou à venir d’un peu plus de 100 milliards de DH.

Afrique : une coopération tous azimuts et un rôle de leader régional

Autre région du monde où la diplomatie agit comme un vecteur de développement : l’Afrique subsaharienne. Les statistiques sont éloquentes. Depuis 1999, le Souverain a visité une dizaine de pays dont certains plusieurs fois, comme le Sénégal (5 fois) ou encore le Gabon (4).

Annulation de la dette des pays les moins avancés, aides contre les épidémies et les famines, création de la Fondation alaouite pour le développement durable, assistance technique, soutien miltaire mais également accords de coopération..., autant d’actions qui auront conféré au Maroc un rôle dans une région où autrefois le thermomètre des relations suivait celui des amitiés particulières entretenues avec tel ou tel chef d’Etat.

Un deal win-win pour le Maroc qui parvient à mieux sensibiliser les pays amis à sa cause nationale, à faire des affaires avec l’implantation d’entreprises publiques (ONE, ONEP, RAM…) aussi bien que privées (banques, promoteurs immobiliers…), mais également à imposer une image d’acteur continental pouvant faire l’interface entre une Europe frileuse et une Afrique noire timide, notamment sur les questions de sécurité. Là encore, la dimension politique n’est pas absente. Là encore, on ne transige pas sur les principes.

Le coup de froid, très temporaire, mais néanmoins réel qui a émaillé les relations maroco-sénégalaise, il y a six mois, fut un acte voulu, calculé par Rabat. Sans aller jusqu’à une rupture des relations, le Royaume a fait connaître son mécontentement à propos du soutien d’une personnalité politique sénégalaise à la thèse du Polisario.

En toile de fond également, il s’agissait - quoique le ministère des affaires étrangères rejette l’affirmation - de passer un message clair à propos de la prise en otage du business marocain en terre sénégalaise par des considérations de politique intérieure. Cette mini-crise, volontairement déclenchée, a eu l’effet escompté. Le leader d’opposition à l’origine de la crise s’est abstenu d’aller à Tifariti ; par la suite, les choses sont rentrées dans l’ordre et le Maroc a apporté un soutien logistique important a son allié qui accueillait, en mars dernier, le congrès de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).

En résumé, l’on pourrait qualifier la diplomatie marocaine, telle que voulue par le Souverain et appliquée par lui et par le département des affaires étrangères, de plus volontariste, plus pragmatique et surtout moins tape-à-l’œil. Le Maroc, un pays en voie de développement, sans ressources, mais qui tient à faire entendre sa voix ? Taïeb Fassi Fihri préfère énoncer les choses autrement. Pour lui, les motivations qui sous-tendent l’action du Souverain vis-à-vis de l’environnement extérieur sont la recherche de la paix, de la sécurité et du développement.

Plutôt que de dire que le Maroc est plus respecté qu’auparavant, « je préfère dire qu’il est écouté et crédible, parce qu’il propose, comme le prône Sa Majesté, des actions concrètes, du sérieux. Le Maroc donne un réel contenu à ses relations diplomatiques et est en cela très apprécié », explique le ministre. Illustration de cette forte volonté d’avoir du concret, le cas du report de la Haute commission mixte maroco-égyptienne, à la demande du Maroc qui estimait que la réunion devait se traduire par des avancées.

C’est ainsi que le blocage des exportations de voitures Logan à destination du pays des pharaons fut résolu. Aujourd’hui, l’on peut dire que, neuf ans après son accession au Trône, le Souverain aura insufflé suffisamment de pragmatisme aux relations entre le Maroc et ses partenaires pour que de simples crises conjoncturelles ne viennent pas tout remettre en question. Pour reprendre une expression à la mode, à la diplomatie bling-bling on préfère celle du résultat.

Source : La vie éco - Fadel Agoumi et Houda Filali-Ansaryœ

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